mardi 19 octobre 2010

Le solidarisme de Francis Adolphe Bidjocka


   Voici un extrait tiré du livre Le solidarisme .. Bonne lecture.

CHAPITRE VI : Solidarité et solidarisme


« De grandes récompenses attendent ceux qui seront capables de vivre, d’apprendre, de travailler et de forger des liens solides avec les autres ».                                                           Martin Luther King.

Le solidarisme est un courant de pensée qui place la solidarité au cœur de l’organisation et du fonctionnement d’une société[1]. Cette définition est très générale et mérite d’être précisée tant le terme solidarité renvoie à plusieurs acceptions qu’il convient d’énumérer succinctement afin de permettre une bonne appréciation du solidarisme qui l’objet du présent ouvrage. La solidarité dans les relations humaines se définit comme un devoir d’assistance mutuelle entre plusieurs individus liés par des lois relevant d’une entente, d’une appartenance à une communauté bien définie ou tout simplement de la morale.


Solidarité et vie communautaire.


La cellule familiale constitue la base de toute communauté humaine. Elle est fondée sur la complémentarité, l’assistance, l’amour c'est-à-dire le don de soi. Pris dans ce cadre restreint, la solidarité des membres d’une famille est une donnée paramétrique qui ne saurait être modifiée ; elle constitue une fin en soi, car elle va au dessus de la recherche d’intérêts égoïstes. En effet, l’amour d’un parent pour son enfant invalide ne peut pas se justifier par l’attente d’un retour sur investissement ou tout autre intérêt inavoué. La vie communautaire ainsi définie va se développer sur la base de cette communion de sentiments qui poussent à l’entraide d’autant plus que le prochain n’est qu’un autre moi avec lequel je partage des liens de fraternité, d’amitié ou de croyance religieuse ou autre. Ce type de solidarité se rencontre plus chez des peuples premiers vivant en tribus et clans au sein desquels la cohésion et l’organisation fait primer le sentiment collectif sur les tendances personnelles ou individualistes. Ce type de solidarité a été qualifié par Emile Durkheim[2] de « solidarité mécanique ».


Dans son ouvrage sur la division du travail, Durkheim (1893) décrit la société moderne comme une association impersonnelle dans laquelle  une multitude d’individus sont liés non par une similitudes de croyances ou de sentiments, mais par la poursuite d’objectifs communs en l’occurrence le bien-être économique. Ce type de société est caractérisé par une division poussée du travail qui rend les individus dépendants les uns des autres. Alors que dans la vie de clan, tout les individus sont polyvalents dans leur travail (agriculteur, chasseur, charpentier, etc.), ici les individus sont spécialisés dans une tâche voire un bout de tâche qui contraint au travail d’équipe ou à la chaîne. C’est ce type de solidarité que Durkheim qualifiée de la « solidarité organique ». Nous verrons par la suite que ce type de solidarité pour être effective doit impérativement se matérialiser par voie de contrat (contrat civil et contrat social).


Partant de toute cette modélisation faite sur la solidarité que Léon Bourgeois va développer une doctrine politique et sociale qui va prendre le nom de solidarisme. Cette doctrine, exposée dans Solidarité (1896), va montrer que la solidarité sociale est un devoir pour tous les membres d’une société. A travers la notion du quasi contrat social qui se définit comme l’expression d’une dette de l’individu envers la société en ce qu’il démontre que :   « En entrant dans l'association, il y prend sa part d'un héritage accumulé par les ancêtres de lui-même et de tous ; en naissant, il commence à jouir d'un capital immense qu'ont épargné d'autres générations antérieures[3] » En d’autres termes « Nous naissons chargés d'obligations de toute sorte envers la société » ainsi que l’a formulé Auguste Comte. Par conséquent, « Une obligation naturelle existe donc pour tout homme de concourir aux charges de l’association dont il partage les profits et de contribuer à la continuité de son développement.[4] »

Cette doctrine a conduit à l’institutionnalisation des systèmes d’assistance sociale (éducation publique gratuite, retraites, etc.) qui a conduit à l’avènement de l’état social qui tend à devenir une donnée universelle des sociétés contemporaines, malgré la crise qu’il semble connaître.


« La bioéconomie[5] est l’économie qui permet de maintenir, d’entretenir et d’améliorer la vie du corps social planétaire humain dans un principe fondamental de solidarité. Les principes de la bioéconomie sont fondés sur l’observation d’un organisme vivant et de ses interactions avec le milieu environnant… ». Ce courant conduit par René Passet remet en cause le cloisonnement libéral de la science économique qui ne se préoccupe que des aspects quantitatifs du développement en excluant les vrais intérêts de l’homme qui se situent au-delà du matériel.

L’être humain est obligé de travailler afin de produire les biens matériels nécessaires à la satisfaction de ses besoins. Toutefois, les moyens matériels ne sont qu’un moyen parmi tous ceux qui concourent à concerne l’épanouissement de la personne humaine. René Passet démontre qu’au delà de l’économique : «  Se développent, s'étendent les vastes domaines de la gratuité de l'affectivité, de l'esthétique, des convictions morales, philosophiques, religieuses. Ces valeurs en un mot par lesquelles les hommes donnent sens à leur vie. Et l'humain à son tour est immergé dans le vivant: l'homme, créature non point comme les autres mais parmi les autres, se développant en interdépendance avec elles et le milieu qui les porte. Ainsi se dessinent trois sphères régies par une relation d'inclusion en fonction de laquelle ce qui se passe au sein de chacune d'elles concerne les autres sans que cela remette en cause leur spécificité. Portée par la sociosphère et la biosphère, la sphère économique qui leur appartient les porte aussi en elle[6]. »

La bioéconomie est donc une économie du vivant ou mieux de la vie qui intègre dans une perspective de développement durable les sphères économique, humaine (sociosphère) et naturelle (biosphère).La bioéconomie promeut donc une approche globale des problèmes économiques qui ne peut s’aborder que dans démarche de « transdisciplinarité ».


L'Économie sociale et solidaire regroupe les relations économiques que des individus peuvent entretenir entre eux dans le but de résoudre des problèmes qui leur sont communs en dehors des logiques purement marchandes c'est-à-dire lucratives. Elle englobe toutes les activités économiques menées  par les associations, les coopératives, les mutuelles, les tontines, les systèmes d’échanges locaux (troc), le commerce équitable, la micro finance, etc.
L’économie sociale a connu ces dernières années un développement exponentiel qui l’a placé au cœur des politiques de développement et de lutte contre la pauvreté comme l’atteste la réussite du projet Grameen[7] dont la reconnaissance a valu à son promoteur, Muhammad Yunus, l’obtention du prix Nobel d’économie. Tout cela démontre l’importance d’une approche plus solidaire dans les relations économiques entre les humains en accort avec André Gide selon lequel : «  L'Économie sociale cherche surtout à rendre les hommes plus heureux, en leur procurant non seulement plus d'aisance mais plus de sécurité, plus d'indépendance, plus de loisirs[8] ».


Pour Herbert Spencer, s’inspirant d’auguste Comte, la société humaine dans son fonctionnement est assimilable à un organisme vivant. Il établit donc un parallélisme entre la sociologie et la biologie dont elle doit s’inspirer. Spencer envisage donc la société comme un organisme vivant dont les différentes parties sont constituées d’organes différenciés concourrant à l’accomplissement de fonctions spécifiques. L’observation du fonctionnement du corps humain met en évidence la parfaite coordination qui existe entre les différentes cellules, tissus et organes du corps humain, qui bien qu’indépendants, concourrent harmonieusement au fonctionnement de tout l’organisme. Il énonce ainsi le principe selon lequel : « L'organisation n'est possible dans un individu, qu'à la condition que l'ensemble soit dépendant de chaque partie et chaque partie dépendante de l'ensemble… C'est-à-dire que la mutuelle dépendance des parties est une condition essentielle du début et des progrès de l'organisation sociale, aussi bien que du début et des progrès de l'organisation individuelle[9] ».

Nous qualifierons de « solidarité fonctionnelle » ce type de solidarité qui résulte non de l’agrégation plus ou moins complexe des individus en société, mais bel et bien de celle qui découle d’une « organisation régulatrice[10] » chargée d’assurer la coordination et la cohérence d’une multitude d’actions individuelles. L’objet du présent ouvrage est précisément de déterminer les modalités de régulation de l’activité économique au sein de sociétés contemporaines. C’est de cette contribution nouvelle qu’il sera question dans la suite de ce livre, c'est-à-dire du solidarisme.


[1] Grawitz Madeleine, Lexique des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2004
[2] Émile Durkheim (1893), De la division du travail social : Livre I.
[3] Léon BOURGEOIS (1851-1925), Solidarité, p. 46  
[4] Léon BOURGEOIS (1851-1925), Solidarité, p. 54  
[5] Marie Martin-Pécheux, Bioéconomie et solidarisme - Pour une économie au service de la vie, d'un monde "libéral" à un monde libéré, col. ContrEnquêtes, éd. Interkeltia, 2009.
[6] Passet René, Le développement durable : De la transdisciplinarité à la responsabilité, Congrès de Locarno, 30 avril - 2 mai 1997 : Annexes au document de synthèse CIRET-UNESCO.
[7] Le projet Grameen est une initiative du Dr Muhammad YUNUS qui pour lutter contre la pauvreté au Bangladesh créa  une banque qui accorde du micro crédit aux plus démunis. Les résultats spectaculaires ont permis au projet de s’étendre à d’autres domaines et même de s’exporter dans le monde.
[8] Gide Charles, Principes d’économie politique, (1931). p. 16.              
[9] Herbert Spencer (1903). Introduction à la Science Sociale, p. 233, 234.         
[10] Ibid. p 45

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